Chambre de Stephane et Phil

[Suite du sujet dans le jardin]

Stephane conduisit Phil au seul endroit qu'il connaissait vraiment, le dortoir des garcons; il n'avait pas eu le temps de voir autre chose, puisqu'il venait d'arriver, lui aussi.

Il s'arreta devant la porte de sa chambre, et vit que Phil l'avait suivi, alors qu'il ne s'y attendait qu'a moitie, de par le caractere eteint du jeune homme et du fait qu'ils s'etaient connus en s'echangeant des coups. Son seul but etant d'echapper a la prof d'anglais, et par la meme a ses cours, il se retrouva un peu au depourvu, et finit par annoncer, en ouvrant la porte:

"Voila, c'est ma chambre ici. Y'en a surement d'autres de libres, mais tu peut dormir ici si tu veut."

Stephane etait entre a la suite de Phil, et, s'arrogeant une commode pres de son lit, entreprit de ranger ses affaires restees affalees sur son lit depuis qu'il etait venu ici avec Ania.

Il ne s'occupait pas de l'autre garcon, lui tournant le dos, jusqu'a ce qu'il lui pose une question, a laquelle Stephane eut du mal a repondre.

"Bin euh... Pour les cours j'en ai aucune idee, et avec tout le retard sur le programme scolaire que je doit avoir, c'est un peu inutile que j'y aille de toutes facons. Apparrement, le foutoir administratif, on le regle sans toi, donc je crois pas qu'il y ait besoin de voir quelqu'un ou un truc du genre. Mais j'en suis pas sur. Et en fait je m'en fout."

Toujours un peu gene -il n'avait parle a personne depuis tres longtemps avant d'arriver ici, et etait toujours bien en peine de trouver quoi dire- il passa un regard circulaire sur la piece, ayant fini de ranger ses affaires, mis a part les quelques dernieres choses dans son sac qu'il tenait a cacher.

"Cette piece est un peu sobre" commenta-t-il, "on pourrait peut etre essayer de faire un effort de decoration. Et puis apres tout, moi je m'en fout un peu, donc c'est comme tu veut".

Voyant qu'il s'engageait dans une discussion avec le garcon eteint, Stephane s'assit en tailleur sur le sol, et se mit a lui repondre.

"Mon style, c'est pas trop decharge, mais j'ai jamais eu a m'occuper du nettoyage d'une salle!" affirma t'il d'un ton quelque peu aggressif, se doutant que son interlocuteur n'y reagirait meme pas.

"Et mon nom, c'est bien Stephane. Le tien, c'est Phil, je l'ai entendu chez les flics, quand on s'est fait choper. D'ailleurs, pourquoi les keufs t'on embarque?"

S'attendant a la question, Stephane repondit rapidement, les yeux tournes vers la fenetre qui donnait vue sur le jardin alors que l'apres midi touchait a sa fin.

"Moi, j'ai passe ma vie dehors dans les rues. J'etais tout seul, et je passais mon temps a taper les gens. Je me suis meme fait une petite reputation!
Enfin bref, tout ca c'est fini; au revoir belle vie de dehors, bonjour prison."

*Et je me retrouve a parler. C'est peu etre pas une mauvaise consequence, apres tout..*

Le peu de jardin qu'on pouvait voir par la fenetre fourmillait d'eleves, aux noms inconnus, et qui ne seront jamais connus du jeune homme pensif. Meme ce lieu etait une prison somme toute, ce que les barrieres rappelaient cruellement en projetant leur ombre qui s'allongeait avec le lent declin du soleil, comme pour attraper les eleves dehors et les laisser pourrir ici.

Stephane se fit surprendre dans ses reveries par la question de Phil, et repondit avec haine sans meme s'apercevoir que sa reponse n'etait pas totalement coherente et comprehensible.

"Ouais, j'ai de la famille. Enfin, je sais plus ce qu'ils sont devenus, mais j'espere ne jamais les revoir. Je les hais. C'est eux qui m'ont fait vivre, et qui m'ont enferme, moi le monstre repoussant, quand j'etais gamin, et j'ai pu leur echapper pour retomber ici! Je les hais!"

Stephane continua de regarder dehors, tout a la rage que lui inspirait sa famille, et ne remarqua pas que Phil ne parlait plus. Cette conversation a ete tres longue par rapport a ce qu'il avait vecu ces dernieres annees, et le pensionnat le forcait effectivement a parler aux autres plutot qu'a frapper le premier inconnu assez fou pour s'approcher de lui.
Peut etre changeait-il simplement, fatigue d'une vie de dissimulation et de violence, marquee par sa malediction...

Puis il s'apercut que la chambre etait redevenue silencieuse, et que Phil non plus n'accrochait plus tellement a la conversation. Seul le sujet de la famille avait declenche en lui un quelconque interet, a en juger par la facon dont il avait fixe Stephane.

"Heum... Et toi, tu as de la famille?" tenta-t-il un peu timidement.

Stephane, les yeux dans le vague, mit un temps a repondre; peut etre cherchait-il une reponse, peut etre pensait-il a sa situation.

"Donc maintenant, il ne te reste plus rien" constata-t-il d'une voix songeuse, comme s'il se parlait a lui-meme; " moi aussi j'ai plus rien. J'ai jamais rien eu en fait. Tout le monde a peur de moi, et moi aussi... Et je suis devenu aggressif parce que j'ai jamais eu personne... et c'est totalement normal en fait... C'est joli comme nom Fylliam."

*C'est a cause de sa mort qu'il est devenu si renferme? Il se lamente sur la mort de sa soeur et ne fait plus rien pour avancer... En fait il est mort avec elle, en quelque sorte, puisqu'il ne veut plus vivre...*

La fenetre allait bientot ne plus donner assez de lumiere pour eclairer la salle, mais nul ne s'en souciait, et il fallait bien une heure pour que la chambre devienne crepusculaire.
Stephane s'allongea sur son lit, silencieux, et marqua un temps.

"Somme toute on se ressemble un peu...on est deux paumes au passe pourri... qui se retrouvent enfermes ici..."

"On est tous stupides. Regarde-nous! On regrette un passe qu'on ne peut pas changer, et on reste a rien faire alors qu'on devrait avancer, depasser tout ca, plutot que de desesperer devant ses problemes et ses erreurs."

Dans la rue, si on regrettait le passe, on ne restait pas longtemps. Stephane avait vecu trop longtemps a se soucier du present, trouver a manger, trouver ou dormir, trouver a boire. La vie qu'il avait menee l'avait empeche de ressasser ce qu'il avait fait, et l'avait force a penser a ce qu'il ferait, ce qui avait modele son caractere en consequence.

Et ici, il se retrouvait allonge sur un lit propre, sans se soucier de se nourrir ou de trouver un endroit pour dormir, sans autre probleme immediat que se demander si la biere etait permise ici, et son passe lui revenait, toutes ses erreurs et ses idioties revenaient a son esprit, et pour la premiere fois depuis des annees, il se surprit a penser a ce qu'il aurait du faire, ce qu'il a rate, et a reflechir sur sa vie maudite. Cette journee avait introduit l'un des plus grands changements de sa vie, plus encore que le jour ou il avait fugue, et ou il s'etait retrouve a vivre dehors.

"Euhm... Si tu ne veut plus qu'on discute, si je gene, tu dis hein..."

Stephane s'assit sur le lit en un mouvement souple et puissant. Il regarda Phil pendant qu'il parlait, Phil qui semblait toujours detache de la conversation, comme si il ne s'y interressait pas, comme si plus rien ne pouvait l'atteindre.

Il lui repondit une unique phrase:

"Tu crois vraiment qu'elle t'en aurait voulu, que tu vives sans elle?"

S'ensuivit un silence, la question restant en suspens.
Dehors, les nuages bloquaient en partie les rayons du soleil, et la chambre fut momentanement decoree de taches d'ombre mouvantes, tandis que l'astre se couchait lentement, trop lentement pour que la nuit s'annonce, trop lentement meme pour que l'on puisse dire que le soir apparait, mais suffisament pour que la chambre blanche paraisse grise et terne.

Stephane continua de regarder Phil, pendant que la chambre s'obscurcissait a cause des nuages cachant le soleil, seule source de lumiere. Ils resterent tout deux silencieux, chacun perdu dans ses pensees, ou juste fatigue de leur journee.

Phil finit par s'endormir, sans bruit, sans troubler le silence qui regnait dans cette salle. Stephane se retrouva seul, assit sur son lit, devant son compagnon de chambre qui ne lui serait jamais une menace - et pour la premiere fois, il se sentit en securite.

Il resta assis, sans bouger, pendant plusieurs minutes ou plusieurs heures, sans rien regarder, pendant que les ombres dansaient dans la piece grisatre.
Puis soudainement, il se leva, ferma les volets et plongea la chambre dans le noir.

Et il partit, laissant Phil seul avec ses reves ou ses cauchemars.